UN EXEMPLE D'INDUSTRIE LIMOUGEAUDE : L'ARSENAL
À l'image d'autres villes françaises, Limoges est profondément marquée par l'industrialisation. Ce changement induit des changements notoires, notamment dans les comportements sociétaux mais il impose également une modification architecturale. Les activités industrielles transforment le paysage de la cité limousine comme en témoigne un des quartiers est, près de la route du Palais à Limoges. Ainsi, les fonds filmiques et cinématographiques de la Cinémathèque de Nouvelle-Aquitaine deviennent un moyen pertinent d'envisager le patrimoine industriel de la ville.
LE CONTEXTE D'INDUSTRIALISATION
L'Europe connaît un bouleversement profond à la fin du XVIIIème siècle avec l'industrialisation. Cette période, scindée en plusieurs épisodes, est le début d'un changement radical dans les sociétés, qui découvrent de nouveaux modes de production et de consommation. Elle entraîne aussi une mutation du paysage urbain avec l'émergence de nouvelles figures architecturales, dédiées à la production industrielle.
Alors, à partir de 1880, la seconde industrialisation touche les pays européens et la France. Elle se caractérise par l'usage de l'électricité, la production de l'acier puis l'utilisation progressive du pétrole. Ainsi, pour répondre à une production inédite toujours plus grande, la France se dote de structures architecturales qui redessinent l'environnement paysager mais surtout les modes de fabrication. C'est dans ce contexte d'effervescence industrielle que l'Arsenal, puis les usines de la route du Palais s'implantent petit à petit à Limoges.
L'INDUSTRIE MILITAIRE FACE A LA GUERRE
La Seconde Guerre Mondiale éclate en 1939 et plonge les sociétés dans une situation exceptionnelle. Afin de supporter l'effort de guerre, la plupart des entreprises et les industries sont réquisitionnées et souffrent, elles aussi, de conglit. L'usine Gnome, située près de la route du Palais à Limoges, en fait partie.
En 1934, un plan national français est développé dans le but de dynamiser l'aviation française devenue trop vieillissante par rapport aux états européens voisins et concurrents, en particulier l'Allemagne. Sont alors créés les Ateliers Régionaux de Réparation du Matériel Aérien (ARRMA). Sa position géographique et son chômage grandissant place Limoges dans les choix gouvernementaux, parmi d'autres villes du centre et du sud-ouest de la France, pour accueillir les équipements industriels. En effet, l'état privilégie des lieux excentrés, plutôt enclavés dans les terres, pour éviter des destructions de la part des potentiels belligérants.
À la tête des travaux en 1938, trois architectes : Henri Geay, Léon Ballot et Georges Tharaud élaborent un vaste site industriel composé d'ateliers couvert de sheds, des locaux techniques (chaufferie), des châteaux d'eau et des bâtiments administratifs destinés au personnel. L'ensemble, géré par la société Gnome et Rhône, s'occupe de la fabrication de moteurs et d'engins industriels pour l'aviation militaire. Alors que les travaux s'achèvent durant l'année 1940, l'usine est rapidement saisie par le gouvernement français qui vient de signer l'armistice avec l'Allemagne nazie. Dorénavant, l'Arsenal fournit des éléments mécaniques aériens au régime totalitaire.
Malgré les tentatives de rebellions, avec les mouvements locaux de la Résistance, l'usine envoie la majeure partie de sa production à l'ennemi nazi. Afin d'enrayer ce commerce inégal et forcé, les Alliés décident de bombarder les lieux. La mission, orchestrée par le commandant Leonard Cheshire, se déroule dans la nuit du 8 au 9 février 1944. Les appareils de la Royal Air Force survolent la zone et prennent le soin d'épargner les civils et autres employés. Il est dénombré moins d'une dizaine de blessés. L'objectif des Alliés est atteint ; une grande partie des ateliers sont détruits ou endommagés. Les photographies de Léon Monnerie, conversées à la Cinémathèque, illustrent les dégâts du passage de l'aviation anglaise. Ces documents d'archives mettent en exergue quelques silhouettes de l'usine, telles que les courbes des sheds ou d'un des châteaux d'eau, frappées par la force de frappe des avions.
Photographies "Arsenal de Limoges", Léon Monnerie, 1944.
Le site de l'Arsenal, route du Palais, est en pleine restructuration. Le bombardement anglais provoque une situation de précarité conséquente, qui mène à une période de déblaiement et de travaux. Néanmoins, la fabrique d'armes et de mécanismes militaires reprend faiblement. Cela est complètement compromis lorsque dans la nuit du 23 juin 1944, un deuxième bombardement est effectué sur le site. Il vise plus particulièrement la gare de triage du Puy-Imbert qui jouxte l'usine déjà durement touchée. Le couple Delrous livre un témoignage de cette attaque aérienne. Dans un film 8 mm, la caméra erre au milieu des décombres et fixe, une fois encore, les stigmates de la Seconde Guerre Mondiale. Les images présentent les ruines des bâtiments et les déambulations de curieux autour des carcasses fumantes. La reconstruction est effective dès 1948 et envisage de suivre les même lignes architecturales que les ateliers détruits.
"Septembre 1944", Yvon et Suzanne Delrous, 1944.
La Seconde Guerre Mondiale met en difficulté le site industriel de la route du Palais. Malgré cela, il est un important lieu industriel dans la région. Son potentiel et son dynamisme relatif sont légitimes mais le site reste confrontée à une évolution mouvementée.
L'EVOLUTION DU SITE INDUSTRIEL
L'entreprise Gnome et Rhône quitte progressivement les locaux de l'Arsenal au cours de l'années 1946. Cet abandon met en péril les usines et le travail effectué par les ouvriers. Alors que le site industriel se retrouve dans une situation incertaine, l'état français décide de reprendre les locaux en les plaçant sous l'autorité du ministère de l'Armement. Cette nouvelle tutelle transforment les usines, qui deviennent alors des Ateliers Centraux des Automobiles de l'Armement (ACAA) et développent des nouvelles productions. Dès lors, les espaces participent à la construction de matériels et de mécanismes automobiles. Malgré cette reconversion, les ateliers restent délabrés. Les deux attaques successives durant le conflit mondial ont largement entaché les conditions de travail. Alors, le ministère déclare une réparation du site afin de relancer le dynamisme industriel. Méné par l'architecte Georges Tharaud et la société de construction métallique de Civray, le site entre dans une véritable période de reconstruction, trop balbutiante depuis 1948.
Suite à cela, le faible rebondissement économique et industriel des usines conduit le gouvernement français à s'interroger sur une potentielle cession du site à une entreprise industrielle. Dès 1964, deux entreprises vont se succéder pour la direction et la régie des usines : la Société Anonyme de Véhicules Industriels et d'Équipements Mécaniques (SAVIEM) et Renault Véhicules Industriels (RVI).
Au cours de l'époque contemporaine, le site connaît alors plusieurs périodes de restructuration, qui même si elles permettent une sauvegarde des usines, mettent à mal les conditions de travail des nombreux ouvriers. Ce contexte difficile pousse parfois ces derniers à faire valoir leurs droits en entreprenant des mouvements de contestation et de grève.
À la fin des années 1970, alors que le nouveau groupe est en proie à des difficultés et peine à rassembler ses ouvriers, ces derniers entament une grève sans précédent dans l'entreprise. L'échec d'une revendication dans l'un des ateliers entraîne une succession de grèves. L'ensemble de RVI est paralysé face aux mouvements de contestations. Le ville de Limoges devient alors le théâtre des manifestations avec l'organisation d'occupations des usines et de défilés dans les rues.
Les photographies de l'ancien quotidien L'Echo illustrent la tonalité des évènements. La tension est palpable avec ces images de cortèges revendicatif et l'occupation d'un atelier, par les ouvriers mécontents, au sein de Renault Véhicules Industriels. Dans une autre mesure, elles permettent d'observer au loin les éléments architecturaux, représentatifs de l'Industrie, tels que les toits couverts de sheds et les châteaux d'eau. Suite à de nombreuses négociations, les activités reprennent à la fin de juin 1979.
Photographies "Grève limougeaude à RVI", L'Echo, 1992.
Bien que des tensions émergent et se concrétisent entre la classe ouvrière et le patronnat au travers des manifestations, le site industriel de la route du Palais apparaît comme un lieu idéal pour des rencontres officielles comme en témoigne le film 16 mm issu des collections des Archives municipales de Limoges et numérisé par les services de la Cinémathque de Nouvelle-Aquitaine. Il s'agit d'une visite du président de la République François Mitterrand, en 1981.
"François Mitterrand à Limoges", Archives municipales de Limoges, 1981.
Accompagné de plusieurs représentants industriels et politiques, le président est invité à visiter les locaux de l'usine. Les images de cette visite présidentielle est l'occasion d'apercevoir les bâtiments de Renault Véhicules Industriels ainsi que les nombreux ouvriers, massés devant l'un d'eux.
Un autre film 16 mm des Archives municipales de la cité limousine met furtivement à l'honneur l'architecture de l'usine. Lors de l'aménagement urbanistique du réseau automobile dans les années 1980, l'oeil de la caméra propose au spectateur de distinguer la silhouette de l'usine. Le plan géométrique, les formes bétonnées et les courbures des charpentes métalliques ressortent dans le paysage urbain. Malgré cette dénotation dans l'environnement, l'ensemble de l'usine correspond aux codes architecturaux élus dans l'Industrie.
C P16 AML01 0024 PR, Archives municipales de Limoges, 1985.
L'Arsenal de Limoges est l'un des exemples de l'industrialisation grandissante dans la région limousine. Les archives de la Cinémathèque de Nouvelle-Aquitaine donnent un aperçu de cette construction limougeaude et incite à préserver l'histoire, à la fois militaire et industrielle, de ce lieu. Grâce à ces documents, il s'agit d'appréhender le petit patrimoine industriel de la cité de Limoges tout en mesurant la place anecdotique de ce dernier dans le paysage local.
BIBLOGRAPHIE
-AZZOUZ Rachid, La France de 1870 à 1958, Paris, Presse universitaires de France, 1999.
-VIVIEN Michel, Limoges, de l'Arsenal à Renault Trucks : plus de 75 ans de présence dans la vie locale, Panazol, Lavauzelle, 2011.
-PILLET Frédéric, Usine Renault Trucks (ancien arsenal), Région Limousin - Service de l'inventaire et du patrimoine culturel, 2003.
© Cinémathèque de Nouvelle-Aquitaine