La Grosse Cloche est le beffroi de l'ancien hôtel de ville de Bordeaux. Elle a été édifiée au XVe siècle sur les restes de l'ancienne Porte Saint-Éloy du XIIIe siècle (car adossée à l’église Saint-Éloi), ouverte à travers le rempart du XIIIe siècle, sous laquelle passaient les pèlerins de Saint-Jacques en route pour Compostelle, d'où le nom de la rue Saint-James d’où est prise la photo, Saint-James étant le nom gascon de Saint-Jacques. C'est un des rares monuments civils (avec la porte Cailhau – voir vue CLL139) que la ville conserve du Moyen Âge. La porte et les tours sont classées au titre des monuments historiques depuis juillet 1886.
Nous avons donc là la vue arrière du monument sur sa façade la moins élaborée. Cette porte est composée de deux tours circulaires de 40 mètres de haut reliées par un bâtiment central. Le reste du bâtiment, vu depuis l’autre façade sur le cours Victor Hugo, est montré sur la photo CLL144 à laquelle il convient de se reporter pour la suite du descriptif.
Les magistrats de la ville sonnaient la cloche pour donner le signal des vendanges et alerter la population en cas de débuts d'incendies. C'est la raison pour laquelle elle est depuis toujours le symbole de la ville et figure encore aujourd'hui sur les armoiries de la cité.
Les Bordelais étaient très attachés à cette cloche. D'ailleurs, lorsque le roi voulait les punir pour leur insubordination, il lui suffisait de la faire enlever : les habitants ne tardaient guère alors à rentrer dans le rang pour retrouver leur emblème. C'est ainsi qu'elle est enlevée aux Bordelais par le roi Henri II et brisée pour les punir de leur révolte de 1548 (la jacquerie des pitauds) ; la cloche revient en 1561 pour la plus grande joie du bon peuple.
Après l'incendie de 1755, crénelage et campanile viennent couronner les tours couvertes en forme de poivrière. La cloche actuelle fut coulée en juin 1775 par le fondeur Turmeau. Elle pèse 7 800 kg pour deux mètres de hauteur et de diamètre. Elle a sonné la commémoration de la victoire du 8 mai 1945 ; depuis en raison de son poids et des risques de fissures que pourraient provoquer les vibrations de la cloche, elle ne sonne que pour les circonstances exceptionnelles.
La photo est aussi un « instantané » de la vie bien calme de cette petite rue Saint-James en début d’après-midi (il est 3 h 10 à l’horloge). Sur la gauche, une devanture affiche « Aux Quatre Frères » ; devant elle est garée une automobile à travers le parebrise de laquelle on aperçoit la silhouette d’une femme qui monte sur le trottoir, certainement pour éviter de se trouver dans le cadrage du photographe. Cette automobile se caractérise par un capot qui a encore la forme"crocodile" caractérisant les Renault de l'époque. Il présente cependant une grille indiquant que le radiateur est à l'avant (il était à l'arrière du moteur avant septembre 1929, et le capot n'avait pas d'ouverture à l'avant), et des ouïes de ventilation sur le côté du capot, adoptées à partir de janvier 1931 suite aux problèmes de refroidissement du moteur rencontrés par les Renault 1930. A partir du salon 1932 (donc octobre 1931), les modèles de la marque adoptent un nouvel avant avec une calandre séparée, nous sommes donc en présence d'une voiture sortie entre janvier et septembre 1931.
La gamme Renault est très étendue à cette période, allant de la 8 CV Monasix à l'imposante et luxueuse 8 cylindres Reinastella de 41 CV. Nous avons assez peu de détails sur cette vue, il peut s'agir d'une Monasix 6 cylindres 1.5L (pas de lanternes d'auvent, donc ce n'est pas une Monastella, sa variante luxueuse), ou d'une Primaquatre 4 cylindres 2.1L, nouveauté de l'année, reprenant la carrosserie de la Monasix avec un moteur différent. Ces voitures sont cependant assez étroites (1,45 m de large), il semble plus logique de penser à une 10CV type KZ5 (moteur 4 cylindres 2.1L) ou une Vivasix (6 cylindres 3.2L) reprenant la même carrosserie que la 10 CV, plus large (1.70 m) que celle de la Monasix. La 10 CV porte encore une dénomination subsistant de l'ancienne gamme Renault (assez fantaisiste comme cela se pratiquait couramment, il s'agit en fait d'une 11 CV fiscaux) .
Du côté droit, une charrette à bras est garée sur le trottoir, un chien passe trop vite pour être net ; on lit une petite enseigne « Coiffeur pour Dames », et, plus près, G. Prévauteau qui semble être un bar, devant lequel se tient un homme, peut-être le patron attendant un hypothétique client en ce début d’après-midi d'été.
A l’occasion de son Voyage aux Pyrénées, en juillet 1843, Victor Hugo fait étape à Bordeaux. Couchant ses impressions dans ses notes, il fait « parler les pierres » :
Le beffroi dit : c’est sous ma voûte qu’ont siégé Michel Montaigne qui fut maire, et Montesquieu qui fut président écrit-il.